Quel est le continent le plus concerné par le vieillissement de sa population ?

Publié le 24 août 2012 à 1:01

L'Afrique vieillit. Une étude de l'Institut national d'études démographiques (INED) publiée hier insiste sur une réalité presque oubliée jusqu'ici, tant l'Afrique est présentée comme un continent à la jeunesse porteuse d'espoirs pour son développement. Si les Africains de 60 ans et plus ne représentent, d'après les données 2010 des Nations unies, que 5,5 % de la population africaine (contre quatre fois plus dans les pays développés), le processus de vieillissement devrait « progresser rapidement », affirment les chercheurs de l'INED. En 2050, l'Afrique devrait ainsi compter 215 millions de personnes de 60 ans et plus, soit presque autant qu'en Europe (241 millions).

Un vieillissement auquel le continent n'est que très peu préparé, les politiques de santé et de retraite à l'égard de cette frange de population étant peu développées. Il n'existe ainsi pas vraiment de retraites en Afrique, ces dernières étant souvent limitées aux fonctionnaires et aux employés des grandes entreprises privées. « Moins de 10 % des personnes âgées (de 60 ans et plus) peuvent prétendre à une pension de retraite », estime l'INED dans son étude.

« Les barrières sont multiples »
Or, la modernisation des sociétés africaines conduit à l'effritement des mécanismes de solidarité entre générations qui permettaient souvent aux personnes de grand âge d'être prises en charge par leur famille. L'évolution des sociétés africaines conduit les jeunes générations à « s'émanciper de la tutelle des aînés », écrivent les chercheurs de l'INED. Cette évolution « remet parfois en cause les solidarités intergénérationnelles constitutives du contrat social en Afrique, au détriment des plus âgés ».

Le risque est aussi que ce vieillissement pèse sur le développement du continent. « Dans le domaine de l'emploi, les personnes âgées sont amenées à travailler à des âges relativement avancés et c'est autant d'offres d'emploi manquantes pour les jeunes générations », estime l'un des auteurs du rapport, Valérie Golaz. Chercheuse en Ouganda, elle évoque l'expérience menée par ce pays -qui a pourtant la proportion de personnes âgées la plus faible en Afrique - pour instaurer une sorte de revenu minimum pour les plus de 65 ans, un dispositif étendu aux personnes qui ont des orphelins à charge ou aux handicapés. Le pays a lancé ce projet pilote sur quelques districts. « Pour l'instant, on ne peut pas encore savoir quelle en sera l'efficacité ni si cela améliorera la situation des populations concernées, d'autant que les sommes en jeu ne permettent pas de vivre au-dessus du seuil de pauvreté sans autre revenu », précise Valérie Golaz.

Le Maroc, où la question du vieillissement est plus prégnante qu'en Ouganda, a mis en place le Régime d'assistance médicale (Ramed), fondé sur le principe de la solidarité nationale au profit des plus démunis. Le Sénégal a instauré un « plan Sésame » qui permet à des personnes âgées d'avoir accès à des soins et à une prise en charge partielle de ces soins. Mais cela ne se fait qu'après avoir respecté une procédure administrative qui suppose une demande préalable de prise en charge et de préfinancement qui n'est « pas forcément évidente pour des personnes âgées qui ne sont pas toutes lettrées et qui ne vivent pas nécessairement près d'un hôpital », estime encore Valérie Golaz. Sans préjuger des résultats de telle ou telle expérience, « les politiques sociales mises en oeuvre par certains pays africains n'atteignent pas toujours leur but, parce que les barrières sont multiples », ajoute-t-elle.

Or, dans certains pays, le problème du vieillissement n'attendra pas 2050 pour se poser. C'est le cas en Ouganda où « l'urgence est déjà là », conclut cette chercheuse, avec des personnes âgées qui n'ont parfois plus de descendance en raison de l'épidémie de sida qui a décimé des familles entières. « Au moment de leur perte d'autonomie se pose alors la question de leur survie et plus seulement de maintien du niveau de vie de ces personnes âgées. »

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Augmentation de la proportion de personnes âgées dans une population, en raison de la diminution de la fécondité et de la mortalité.

Le vieillissement peut être l’effet d’une augmentation du nombre de personnes âgées (vieillissement par le sommet de la pyramide), conséquence d’une baisse de la mortalité et de l’allongement de la durée de vie moyenne, mais peut être dû aussi à un déficit de jeunes (vieillissement par la base), à la suite d’une baisse de la natalité. Dans ce cas, il peut donc y avoir vieillissement même si le nombre de personnes âgées n’augmente pas.

Le vieillissement est une conséquence de la transition démographique. Jusqu’à présent, il a surtout touché les pays du Nord, dont la fécondité et la mortalité ont beaucoup baissé, mais il commence à toucher les pays du Sud et devrait être l’un des grands changements sociaux de l’humanité au cours du XXIe siècle.

Les Nations unies prévoient d’ici 2050 le doublement du nombre de personnes âgées (65 ans et plus) dans le monde, passant de 700 millions de personnes en 2020 à 1,5 milliard d’individus. Leur part dans la population mondiale augmenterait ainsi de 9 % à 16 %. Avec la poursuite de l’allongement de l’espérance de vie et l’arrivée aux âges avancés des générations issues du baby-boom, la France compte 3 aînés supplémentaires toutes les 5 minutes. Dans l’ensemble des pays développés, la population vieillit inexorablement, créant de nouveaux équilibres auxquels les sociétés doivent s’adapter. À partir des données démographiques de 40 pays à « longévité élevée » *, Carole Bonnet, Emmanuelle Cambois, et Roméo Fontaine, chercheurs à l’Ined, éclairent les dynamiques actuelles en matière de santé, d’évolutions familiales et conjugales ou de transferts entre générations, et appréhendent les défis tels que ceux liés aux financements des pensions de retraite et du soutien à l’autonomie.

La France n’est pas le pays le plus vieillissant

Le vieillissement de la population des pays développés repose sur une mécanique démographique à plusieurs composantes : d’une part, l’arrivée aux âges avancés des générations du baby-boom et l’allongement de leur vie ; d’autre part, les effectifs de population plus jeunes. Sur l’ensemble des 40 pays étudiés*, les personnes âgées de 65 ans et plus sont près de 4 fois plus nombreuses en 2020 qu’en 1950, passant de 54 millions à 222 millions (figure 1). Sur cette période, la France a connu une augmentation soutenue de sa population âgée, avec une accélération importante depuis 2011. Selon le scénario central de projection des Nations unies (2019), cette « croissance grise » devrait se poursuivre dans ces 40 pays : on compterait en 2050 près de 324 millions de personnes âgées (65 ans et plus) (figure 1). Toutefois, du fait des effectifs des plus jeunes, relativement plus importants que dans d’autres pays, la France ne devrait pas faire partie des pays où le vieillissement sera le plus impressionnant : la part des 65 ans et plus serait en 2050 de 28 % en France, autour de 36 % dans les pays du Sud de l’Europe, et 38 % au Japon et en Corée du Sud. Cette dernière devient ainsi le pays le plus « vieux » en 2050, alors qu’elle faisait partie des plus jeunes en 1950 (figure 2).

Des années de vie en situation de perte d’autonomie "contenues"

La notion d’âge évolue avec le vieillissement : en termes d’années "restant à vivre", les septuagénaires d’aujourd’hui sont semblables aux "sexagénaires" d’hier. Les années de vie gagnées au fil des décennies se sont accompagnées pour partie de troubles fonctionnels, car les progrès médicaux, sanitaires et sociaux ont permis à bien plus de personnes, y compris certaines fragiles, d’atteindre les grands âges, auxquels les problèmes de santé sont courants. Ces troubles entraînent parfois des difficultés dans certaines activités. Toutefois, les études internationales indiquent que les situations les plus complexes, conduisant à une perte d’autonomie, restent contenues alors que l’espérance de vie s’allonge. La prévention et l’accompagnement des troubles courants pour en limiter l’impact sur les activités les plus élémentaires constituent ainsi des leviers pour limiter les situations de perte d’autonomie. Si la prévention de ces situations est un enjeu majeur aujourd’hui, leur prise en charge demeure une priorité des politiques publiques.

Le rôle pilier de l’aide informelle aux personnes âgée en perte d’autonomie

Avec 1,4 % de son PIB en 2014 consacré aux politiques publiques d’aide à l’autonomie des personnes âgées, la France se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE (1 % à 1,5 % du PIB pour la plupart des pays). Certains y allouent une part supérieure à 2 % (Pays-Bas), voire 3 % (Suède), quand d’autres sont à moins de 0,5 % (Portugal et Hongrie). Quoi qu’il en soit, dans de nombreux pays, le « reste à charge » pour l’usager demeure si important que plus de 90 % des personnes ne sont pas en mesure de le financer sur la base de leur seul revenu. Dans tous les pays de l’OCDE, l’aide apportée par l’entourage s’avère un pilier majeur du système de protection sociale : elle concerne en moyenne 80 % des personnes âgées dépendantes. En France, comme en Allemagne, près de 10 % des personnes âgées en perte d’autonomie (27 % en Italie et 35 % en Espagne, contre moins de 5 % aux Pays-Bas et en Suède) cohabitent avec l’un de leurs enfants. En revanche, 40 % de personnes âgées dépendantes vivent seules en France (63 % en Suède et 58 % aux Pays-Bas, 37 % en Italie et 32 % en Espagne). L’augmentation du nombre de personnes âgées dans de nombreux pays nécessite à la fois de repenser les principes fondant les politiques publiques d’accompagnement et d’accroître les ressources que la société y consacre. Ces évolutions devront aussi tenir compte de l’aspiration des personnes vieillissantes à une prise en charge de meilleure qualité, à domicile comme en établissement, pour elles-mêmes et pour leurs aidants (familiaux et professionnels).

Une amélioration de la situation économique des retraités mais des différences dans les conditions de vie

Le niveau de vie des retraités s’est amélioré au cours des dernières décennies, en grande partie en lien avec la montée en charge des systèmes de retraite. Si le taux de pauvreté des retraités était élevé au début des années 1970, notamment en France, il est aujourd’hui souvent inférieur à celui du reste de la population au sein des pays étudiés. La combinaison de cette amélioration relative de leur situation économique, de l’allongement de l’espérance de vie et de l’arrivée aux âges de la retraite de nombreux baby-boomers soulève depuis de nombreuses années la question de la soutenabilité financière des systèmes de retraite, pensée sur un équilibre structurel très différent. La plupart des pays ont mis en œuvre des réformes du système de retraite afin de maintenir leur équilibre financier, en particulier en décalant l’âge de départ en retraite. Mais les implications ne sont pas uniformes dans une population hétérogène, avec des inégalités d’espérance de vie, de travail, d’états de santé et de ressources. Les mesures jouant alors sur d’autres équilibres, rendent l’adaptation des systèmes loin d’être évidente.

Des parcours de vie conjugale et familiale qui se diversifient

Les dynamiques du vieillissement de la population se sont aussi accompagnées de modifications importantes dans les parcours de vie, notamment de vie familiale, avec une diminution du nombre d’enfants, très rapide dans certains pays. L’allongement de l’espérance de vie, en particulier des hommes, conduit à davantage de vie en couple aux âges élevés, en particulier pour les femmes, qui étaient plus souvent confrontées au veuvage auparavant. Parallèlement, les vies conjugales sont moins linéaires ; des séparations et des remises en couples s’observent aujourd’hui plus fréquemment aux grands âges. Ces évolutions encore à l’œuvre amènent de nouvelles questions sur les conditions de vie des plus âgés, les soutiens familiaux dont ils disposent et les liens entre les générations ; des questions qui restent encore largement à explorer.